Rédiger. Quand faire des fôtes devient un problème

MAGAZINE. Dans un monde du travail où l’écrit prend de plus en plus de place avec le Net, savoir rédiger sans fautes est devenu un enjeu pour se maintenir dans l’emploi ou en trouver un.

Aujourd’hui, Jenya Fabre, formatrice à l’AFPA à Paris, encadre trois stagiaires. « Dans mon travail, je dois écrire des comptes-rendus, des mails, passer des commandes, raconte Charline. Je perds beaucoup de temps à me relire ». Elle a demandé à son employeur de l’envoyer en formation pour (re)voir les bases et combler ses lacunes en orthographe. A ses côtés, Cécile a été envoyée ici par son employeur après qu’un de ses responsables a remarqué ses nombreuses fautes. « Je ne me relis pas suffisamment, reconnaît-elle. Je demande pas mal à mes collègues – qui ne savent pas toujours … – ou bien je cherche sur internet. Mais le responsable encore au-dessus en fait autant que moi… », glisse-t-elle comme pour souligner que le phénomène n’épargne pas les cadres. La troisième stagiaire, Anne, a demandé cette formation car, malgré une licence et avec le temps, « le doute s’est installé peu à peu, explique-t-elle. J’ai l’impression de ne plus connaître les règles. Ça devient un handicap ! ».

Désormais, quelle que soit la fonction, il faut savoir rédiger un compte-rendu d’activité, remplir des formulaires et des commandes, écrire des mails aux prestataires et clients… « L’échange de courriel a beaucoup remplacé les appels téléphoniques, constate Jenya Fabre. L’écrit a pris de l’ampleur avec les nouvelles communications. Dans ce contexte, lorsque des problèmes cognitifs sont installés depuis longtemps, souvent dès l’école, ils peuvent devenir un handicap, voire une phobie ». D’autant qu’en France, l’orthographe est presque sacrée. La vigueur de la récente polémique sur sa réforme l’a encore démontré. Dans un entretien accordé au quotidien Le Monde (16 février 2016), l’historien Claude Lelièvre, spécialiste du système éducatif, faisait remarquer : « nous sommes l’un des rares [pays] à utiliser l’orthographe, la dictée, comme des outils de classement […] ». Et de poursuivre : « En France, même au XXIe siècle, l’orthographe sert à se distinguer socialement : on a le droit de ne pas maîtriser une règle de trois… mais pas de « fauter » en orthographe ». (…)

Un article de Marion Esquerré publié dans les pages « Au travail » de l’Humanité Dimanche n°518, du 30 juin 2016